L’histoire du renseignement en Chine
En novembre 1937, à Yan’an, se tient une réunion entre Zeng Shan, responsable du premier soviet, Mao Tsé-toung et Kang Sheng, l’envoyé chinois de Moscou. Selon les ordres du Kremlin, Kang Sheng et son équipe doivent prendre, de concert avec Mao Tsé-toung, la direction à Yan’an de la résistance antijaponaise. Kang Sheng donnera à Mao Tsé-toung la mission de restructurer et de commander le nouveau service secret du Parti communiste : le Département des affaires sociales (DAS) du comité central ou Shehuibu. Trois organisations sont intégrées dans le DAS. La « section spéciale », le bureau de sécurité politique, qui avait organisé la sécurité de la base rouge avant la longue marche et assuré la sécurité de Mao Tsé-toung pendant celle-ci, et le bureau des gardes (Baowei chu) qui assurait la protection de Mao Tsé-toung à Yan’an, faisant office de gendarmerie et de contre-espionnage. Le DAS s’étend dans chaque province que contrôle le PCC, les membres du DAS sont mieux payés que les autres et jouissent des privilèges.
Le mode d’organisation est calqué sur le modèle soviétique : la section N°1 s’occupe de l’administration et du personnel, la section N°2 du renseignement proprement dit, la section N°3 du contre-espionnage, la section N°4 de l’analyse du renseignement et enfin une section d’affaires générales reliée au corps d’entraînement des agents. Deux sections spéciales relèvent de la sécurité et du « département des exécutions » (Zhisibu). Les liaisons externes sont assurées par Pan Hannian qui mène à bien de délicates opérations de liaison avec les services de renseignement japonais dans le but d’obtenir des informations sur le Guomindang.
Le PCC répertorie les sociétés secrètes en triade alliées aux Japonais, en société semipatriotiques, voire en sociétés patriotiques prêtes à collaborer avec les communistes. La longue marche aurait été impossible sans une allégeance de Mao Tsé-toung à la société des grands frères (Hakkas). Pour former tous ses agents secrets et ses policiers politiques, Kang Sheng a aussi créé une école du renseignement au « jardin des dattes ». Dès cette époque les stratèges de l’espionnage communiste accordent une bonne place à ce qu’on appelle aujourd’hui l’intelligence économique. Le DAS couvre les moindres aspects de la vie politique et économique et, avec l’appui de Mao Tsé-toung, Kang Sheng élargit constamment son domaine au-delà de la simple police politique.
Le retournement de Kang Sheng
L’extension du domaine de la lutte se poursuit et dès 1938, Kang Sheng, qui n’a ni parcouru les 12000 kilomètres de la Longue marche ni dirigé d’unités militaires comme les maréchaux Lin Biao ou Deng Xiaoping, prend le contrôle du service de renseignement de l’armée rouge (Qingbaoju). Ce service stratégique est l’ancêtre de l’actuel 2ème Département de l’état-major de l’Armée populaire de libération, composé des attachés militaires présents dans les ambassades du monde entier. Peu à peu, Kang Sheng, qui a été imposé par les Soviétiques va s’opposer à eux et fait empoissonner l’opposant de Mao Tsé-toung réfugié à Moscou, Wang Ming. En 1942, Kang Sheng lancera une campagne interne visant à purger le parti des « influences néfastes ». De 1942 à 1944, il entame la traque pour détecter les espions et contraindre les éléments « déviationnistes » du Parti à se soumettre à une autocritique, à changer leur point de vue ou à s’engager dans « une réforme de la pensée ».
En 1942, il développe le culte de la personnalité à l’égard de Mao Tsé-toung, c’est la création du Maoïsme. Kang Sheng assimile les déviationnistes à des espions japonais ou du Guomindang et il estime que chaque organisation nourrit en son sein un minimum de 30 % d’espions et de contre-révolutionnaires, il donne pour mission aux agents du contre-espionnage de remplir leur quota. La répression à Yan’an est terrible et comme Kang Sheng ne peut s’en prendre directement à Zhou Enlai, il s’attaque à ses proches comme Qian Zhuaengfei, un expert du chiffre qui avait infiltré le service de communication de Chang Kaï-chek ou Chen Muhua, une collaboratrice du dispositif diplomatique que Zhou Enlai met en place et qui s’illustrera plus tard dans l’action des affaires étrangères en Afrique. Un des témoins principaux de cette période est l’envoyé de Moscou et le représentant du Kominterm, Piotr Vladimorov qui sera assigné à résidence par Kang Sheng.
Zhou Enlai crée des services alternatifs
Zhou Enlai avait réussi à ne pas laisser tous les services de renseignements entre les mains du seul Kang Sheng. Avec Ye Jianying, il avait constitué un service de renseignement militaire à part qui n’était pas subordonné au Qingbaoju, le 2ème Département de l’état-major de l’APL. Encore en 2008, deux services rivalisaient dans le domaine du renseignement militaire de l’Armée populaire de libération : le 2ème Département de l’état-major et le service des liaisons du Département politique de l’armée (Zongzheng Lianluobu). De même, deux autres organismes civils ont été valorisés sous l’égide de Zhou Enlai, le Département des liaisons internationales qui dépend du comité central du PCC, le Zhonglianbu, et le « Département de travail de front uni » qui cible les Chinois hors de l’orbite du Guomindang ou qui sont prêts à s’en détacher. Le Zhonglianbu est à l’origine du ralliement de l’ancien vice-président de la Chine nationaliste en 1965, Li Tsung-jen et du père des fusées chinoises, Qian Xuesen en 1955.
1949, la naissance de l’état-espion
En 1949, la défaite militaire de Chang Kaï-chek est consommée. Ce dernier se retire avec son armée sur Formose (Taïwan) qui devient avec l’aide des Américains une place forte pour une hypothétique reconquête de la Chine continentale. Les services de sécurité, police secrète et agences de renseignement se mettent en place et jouent un rôle clef. Toutefois, de nombreux événements vont circonscrire les velléités du régime établi par Mao Tsé-toung dans les années 1950 :
– La rébellion tibétaine, soutenue par la CIA.
– La guerre de Corée (1950-1953) au cours de laquelle la Chine perd un million d’hommes et qui empêche Mao Tsé-toung d’envahir Taïwan.
– La mort de Staline et l’arrivée au Kremlin de Khrouchtchev qui va précipiter le schisme avec les Chinois.
– Les erreurs du grand bond en avant.
– Le redressement du Japon et les porte-avions américains.
– La destruction par les Britanniques de la guérilla chinoise en Malaisie et à Singapour, de celles des Huks par les Américains aux philippines.
– La guerre sino-indienne et la « guerre des 10000 jours », Indochine puis Vietnam.
C’est dans ce contexte que naissent et se développent les services spéciaux chinois. Ils reçoivent les conseils des Soviétiques du MGB, futur KGB, mais ils les tiennent à distance pour éviter d’être chapeautés comme cela se pratique en Europe orientale. Le DAS développe des bureaux régionaux dans toute la Chine, avec une fonction de contre-espionnage, implantés à tous les échelons administratifs. Li Kenong a remplacé Kang Sheng et dirige aussi le renseignement militaire, le Qingbaobu et le Département des interceptions de communications qui fonctionne à l’étranger grâce au réseau d’attachés militaires avec l’appui des journalistes de la section militaire de l’agence Chine nouvelle (Xinhua). Les dirigeants chinois surveillent de très près les Soviétiques qu’ils soupçonnent, malgré les accords, de recréer un réseau en Chine. Mais les Russes aident à créer à Nankin l’École des cadres pour les langues étrangères qui forme le personnel destiné au renseignement. Khrouchtchev tentera de désamorcer la rivalité qui se fait à nouveau jour entre Pékin et Moscou en communiquant à Mao Tsé-toung la liste des agents chinois qui ont travaillé pour les Russes depuis 27 ans.
Le DAS sous Li Kenong
Au lendemain de la création de la République populaire de Chine, tandis que le Ministère de la Sécurité publique, le Gonganbu, assure la répression contre les éléments contre-révolutionnaires, la Chine, contrairement aux autres pays « socialistes » ne se dote pas encore d’un véritable service de renseignement extérieur d’état. Ils conservent leur structure qui dépend de la direction du Parti communiste chinois. Le DAS est amaigri, car tous les éléments chargés du contre-espionnage ont été intégrés au Ministère de la Sécurité publique. Kang Sheng, est écarté de la direction et des informations font état qu’il aurait été chargé de s’occuper de la partie renseignement et récupération de savants Chinois à travers le monde pour la fabrication de la bombe atomique. En 1955, le DAS change de nom et devient le Département d’investigation du comité central (Zhongyang Diaochabu). Au cours des années 1950, chaque ambassade possède un « Bureau d’investigation et de recherche » qui couvre le service d’espionnage. Les renseignements récoltés sont disséqués par son 8ème bureau qui deviendra en 1965, l’Institut des recherches contemporaines internationales, en même temps qu’est créé le Collège des affaires internationales qui se charge de l’entraînement des agents secrets.
Les services de renseignement pendant la Révolution culturelle
Les experts russes ont été renvoyés chez eux suite au schisme sino-soviétique qui survient peu après la mort de Staline. Au milieu des années 1960, l’activité du KGB et du GRU[1]Renseignement militaire de l’armée russe. à Pékin est très réduite et il leur est même difficile de se procurer le journal de l’APL, Jiefangjunbao. Les espions russes ont comme principale source pour faire leur rapport à Moscou les dazibao (affiches), placardées sur les murs de la ville. Quand Youri Andropov devient directeur du KGB en 1967, les directives du 1er directoire sont :
– Recruter des Chinois en dehors de Chine.
– Créer une résidence spéciale du KGB à Hong Kong.
– Recruter des représentants des minorités ouïgoures, tadjikes, kazakhes qui peuvent se fondre dans le paysage à partir du Kazakhstan.
– Collaborer étroitement avec des services de renseignements voisins tels que celui de la Mongolie extérieure.
L’appareil de sécurité et de renseignements chinois se fendille comme toutes les autres institutions disloquées par la Révolution culturelle, quand on n’est pas espion présumé du KGB, on l’est forcément de la CIA et de nombreux comités de gardes rouges constitués au sein du Gonganbu destituent leurs chefs.
La chute du Diaochabu
À partir de 1961, le service doit mener à la fois les enquêtes et le fichage des cadres du PCC ainsi que les missions de renseignement à l’étranger. Cependant, la Révolution culturelle brise cet élan et plusieurs de ses membres hauts placés sont arrêtés en 1966. En avril 1967, le quartier général du Diaochabu est pris d’assaut par l’APL et le service tout entier est aboli, ses archives sont transférées au Deuxième département de l’APL dirigé à cette époque par Lin Biao. L’Institut chinois des relations internationales contemporaines (CICIR) fut une des rares institutions relativement épargnées par les troubles et son rôle fut décisif pendant cette période ou Mao Tsé-toung reconnut la menace soviétique et l’opportunité d’une ouverture avec l’Amérique. De nombreuses missions de renseignement à travers le monde deviennent impossibles et les agents sont expulsés, on voit en eux des propagateurs potentiels de la Révolution culturelle. Selon un rapport de la CIA de décembre 1966, entre un tiers et la moitié des membres des ambassades sont rappelés en Chine pour participer à la Révolution culturelle. En Indonésie, Kang Sheng a aidé à provoquer un soulèvement du PKI, le Parti communiste indonésien, qui sera réprimé dans le sang et se soldera par la mort de 1 million d’Indonésiens.
À la mort de Mao en 1976, Deng Xiaoping en position de force auprès du Parti et de l’armée s’oppose à l’élargissement des prérogatives du Diaochabu rétabli en 1978 qui aurait permis à ses rivaux de consolider leur position et de l’écarter. Deng Xiaoping souhaite que les officiers de renseignement du service quittent, dans leur grande majorité, les ambassades et que l’espionnage soit désormais engagé par des agents secrets qui utilisent les couvertures journalistiques et d’hommes d’affaires. Mais à la fin des années 1970, le manque de professionnalisme dans le renseignement de l’après-Révolution culturelle génère des échecs cuisants dont deux sont particulièrement importants. Tout d’abord, l’affaire cambodgienne. Le Vietnam attaque le Cambodge à la fin de l’année 1978, juste après le départ du directeur du Diaochabu Luo Qingchang, et la capitale Phnom Penh tombe le 7 janvier 1979. Les Chinois n’ont eu le temps d’évacuer que 1000 de leurs 5000 conseillers par la Thaïlande, les autres sont faits prisonniers par les Vietnamiens. La Chine évacue Norodom Sihanouk, otage des Khmers, mais qui est opposé aux Vietnamiens. Les chefs des services secrets chinois avaient pourtant indiqué à Pékin que les Khmers rouges pouvaient repousser les envahisseurs et protéger la capitale. Ensuite, il y a la rupture entre l’Albanie et la République populaire de Chine qui force les Chinois à chercher une autre base de renseignement en Europe. Ils négocient avec Ceausescu et Tito pour les redéployer chez eux. La Chine veut aussi créer une grande base régionale de renseignement en Iran avec la participation du Mossad et manifeste son soutien à l’Iran des Pahlavi. Mais le 16 janvier 1979, le Shah s’enfuit d’Iran.
Le renseignement sous Deng Xiaoping
Le rejet de la période maoïste par Deng Xiaoping peut faire penser au « dégel » amorcé par le Parti communiste d’Union soviétique lors de son vingtième congrès en 1956. Deng Xiaoping a lui personnellement souffert sous la férule de Mao Tsé-toung et de la police secrète de Kang Sheng. Il décide d’une triple réforme du renseignement, d’abord rejeter Kang Sheng et son héritage, démanteler le service secret du Parti, le Diaochabu, pour n’en garder qu’une fonction politique minorée et intégrer sa division du renseignement extérieur dans un autre service d’espionnage et de contre-espionnage. De plus, la nouvelle orientation stratégique que Deng Xiaoping veut donner à la Chine exige un accroissement de la recherche économique, scientifique et technologique ce qui va révolutionner le renseignement chinois. Deng Xiaoping confie en 1983 à un ancien diplomate, Huan Xiang, le soin de créer une sorte de Conseil national de sécurité. Le but est de permettre à Deng Xiaoping à et son équipe de posséder une vision plus claire de la situation mondiale. Le Centre de recherches des problèmes internationaux (ISRC) analyse et transmet aux dirigeants une douzaine de rapports résumés sur la centaine habituellement transmis chaque jour.
Jiang Zemin et le contrôle des services
Suite aux événements de Tiananmen, la Police armée populaire est passée de la tutelle de la sécurité publique à celle de la Commission militaire centrale du Parti que va présider Jiang Zemin après la mort de Deng Xiaoping en 1997. À l’ère Jiang Zemin, une myriade de « groupes dirigeants de travail » concernant les problèmes stratégiques et sécuritaires voient le jour, sur les affaires de Taïwan, la stabilité sociale, la sécurité nationale et de nombreux autres sujets. Le conseil des affaires d’État (COFA), chargé de définir les grands axes de la diplomatie, sera restructuré comme le Département des liaisons internationales (DLI) du comité central. Le DLI est présent aujourd’hui dans une quarantaine d’ambassades et coopère régulièrement avec le Guoanbu. Avec l’imbrication et les passerelles entre les divers services secrets chinois, il est difficile pour le contre-espionnage occidental, indien, coréen ou japonais de faire une estimation précise du nombre d’agents chinois. Le 18 mars 1998, le directeur du Guoanbu change. Jia Chunwang doit céder son poste et devient le patron de la sécurité publique qui supervise toute la gamme de missions qui lui sont imparties jusqu’à la gestion du goulag en partenariat avec le Guoanbu pour ce qui concerne les espions et les dissidents. Il est remplacé par Xu Yongyue, un homme sûr voulu par Jiang Zemin pour réorganiser les services d’espionnage extérieur. En effet, le Guoanbu se doit d’être assaini, car lors de la décennie précédente, la privatisation de secteurs étatiques et la création d’entreprises commerciales dépendant d’organismes publics ont entraîné de nombreux abus, scandales et trafic en tout genre. Or le Guoanbu doit apparaître irréprochable et Xu Yongyue doit se débarrasser de 112 entreprises et couper les ponts avec 144 autres. Ces entreprises étaient parfois utilisées comme couverture lors de travaux à l’étranger. L’opération sera complétée en juin 1999 et seules quelques entreprises seront conservées.
Données de 2012, mise à jour en cours.