En décembre 2020, le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, avait évoqué lors d’une conférence de presse, la politique étrangère indienne. Tout en rappelant le partenariat privilégié existant entre la Russie et l’Inde, il condamnait publiquement les prises de positions indiennes sur différentes questions, en particulier sur sa promotion de l’indopacifique.
Pour Moscou, par sa participation au QUAD et son attachement aux stratégies indopacifiques, l’Inde ne serait qu’un pion aux mains des « pays occidentaux » et de leurs positions antichinoises, l’objectif pour les Américains étant de briser le partenariat indorusse. Ce qui serait un sérieux revers pour la Russie qui a pu compter sur la volonté d’indépendance, qui caractérise la politique étrangère indienne, pour en faire un pilier de sa diplomatie. Et malgré les difficultés des années 1990, l’esprit du traité d’amitié et de coopération signé en 1971 se retrouve dans la déclaration de partenariat stratégique en octobre 2020.
Une opposition au concept d’indopacifique partagée avec la Chine…
Plusieurs facteurs expliquent que la Russie rejette ce concept. Avant toute chose, il est vu comme une initiative américaine (bien que formulée par le Japon de Shinzo Abe) qui a pour objectif de limiter et contenir l’influence de la Chine et de la Russie. Ensuite, Moscou a déployé d’importants efforts pour se rapprocher de l’ASEAN afin d’établir un partenariat placé au centre de sa politique pour l’Asie pacifique. Néanmoins, cette même ASEAN a publié en 2019 sa propre stratégie pour l’indopacifique, mettant l’association à la convergence des deux ensembles géographiques qui forme ce concept, l’Asie pacifique et la région de l’océan indien. De plus, avec l’archipel des iles Andaman-et-Nicobar situé aux portes du détroit de Malacca, l’Inde dispose d’une position stratégique sur les voies maritimes reliant ces deux régions et peut donc prétendre jouer un rôle dans cet ensemble.
Par la signature récente du Regional Comprehensive Economic Partnership qui voit la participation, aux côtés de la Chine, de l’ASEAN et de deux membres du QUAD (Australie et Japon), on peut constater que même les promoteurs du concept ne désirent pas nécessairement ostraciser la Chine vu leur interdépendance économique avec elle. Ainsi, la Russie serait donc plus inquiète par le QUAD et le partenariat militaire qu’il représente que par l’idée d’une vaste région allant des cotes de l’Afrique au Pacifique. En effet, attiré par l’océan indien depuis le 19ème siècle, Moscou s’est emparé depuis longtemps de ce concept géographique, un des exemples étant la zone de déploiement de la flotte du pacifique qui, basée à Vladivostok, va du golfe persique au pacifique…
….mais une politique étrangère russe indépendante
Par conséquent, la Russie semble s’opposer à ce concept pour maintenir une certaine entente avec la Chine, mais pas dans tous les domaines. Car elle ne soutient pas les positions chinoises en mer de chine méridionale et renforce même ses partenariats avec certains pays ayant un contentieux sur cette question comme la Malaisie, les Philippines, l’Indonésie et son allié de longue date, le Vietnam. Pour la Russie, il ne s’agit pas d’apparaitre comme un partenaire indéfectible de la Chine, mais bien comme d’un pôle de puissance indépendant. Dans la conférence de Serguei Lavrov, la Russie et la Chine étaient évoquées comme des pôles de puissance bien distincte bien qu’elles partagent des positions communes, comme leur opposition à la définition par l’Occident d’un ordre international régie par le droit, un « faux multilatéralisme » selon lui.
Où en sont les relations Inde-Russie ?
Ainsi, même si la Russie peut condamner certaines orientations d’une politique étrangère indienne qui serait menée sous l’influence des États-Unis, Moscou s’efforce de maintenir son partenariat avec Delhi. À l’occasion du dernier sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui s’est tenu à Moscou en septembre 2020, les ministres indiens de la Défense et des Affaires extérieures ont pu rencontrer leurs homologues chinois et la Russie ne fermait pas la porte à une livraison d’armes à l’Inde malgré les pressions de Pékin.
Marquées par des sommets concluants à Sotchi en mai 2018 et à Vladivostok en septembre 2019, les relations entre l’Inde et la Russie semblent être au diapason. Avec l’ouverture de discussions bilatérales pour développer de nouveaux partenariats dans des technologies de pointe comme les nanotechnologies, le soutien de la Russie à un siège permanent pour l’Inde au Conseil de sécurité ou d’autres convergences de vue sur des questions d’ordre global, le partenariat entre Delhi et Moscou reste d’actualité.
Mais tout dépendra du rapprochement entre Delhi et Washington, et même si la Russie a amélioré ses relations avec l’Iran et le Pakistan, elle ne peut être marginalisée dans l’Océan Indien. Ainsi, le rapprochement entre Delhi et Washington représente une épée de Damoclès qui plane sur le partenariat entre Delhi et Moscou.
Pour aller plus loin (en anglais) :
ASEAN Outlook on the Indo-Pacific