Focus sur …. L’aéronavale en Asie

Le rôle des porte-avions en Asie

Les groupes aéronavals autour des Nimitz et Roosevelt sont des symboles de la puissance américaine dans le pacifique. Déployés dans le détroit de Taiwan dans les années 1990 pour protéger l’intégrité de l’île ou défendre la libre circulation dans la région du golfe, cette carrier diplomacy serait aujourd’hui, avec le développement des marines de l’indo-pacifique, plus délicate et plus dangereuse, à mener.

Face à la mise en place de stratégies A2AD[1]Déni d’accès et interdiction de zones. de la part des puissances régionales, certaines d’entre elles comme l’Inde et la Chine ont entrepris de disposer de leur propre aéronavale tandis que le Japon se dirige vers la renaissance de la sienne et que la Corée du Sud l’envisage. Quant aux pays de l’ASEAN, la Thaïlande, avec le Chakri Naruebet, possède un des plus petits porte-aéronefs en service, en configuration STOVL pour un tonnage de 11000 tonnes. Qualifiés d’ « effecteur de premier rang » par Joseph Henrotin[2]Henrotin Joseph, Les fondements de la stratégie navale au XXI siècle, Paris, Economica, 2011, 488 p., les porte-avions et porte-aéronefs se divisent en plusieurs catégories qui définissent le rôle que ces navires peuvent jouer.

Les différentes configurations de porte-avions

Ceux de la catégorie CATOBAR (Catapult Assisted Take Off But Arrested Recovery ; assistance au décollage par catapulte et à l’appontage ; États-Unis, France) forment les plateformes aéronavales les plus puissantes, les avions embarqués étant capables de décoller en emportant plus de munitions et carburants. Ainsi, le navire peut déployer des avions d’alerte et assurer plus aisément sa défense.

Les porte-avions en configuration STOBAR (Short Take-off but arrested recovery ; décollage court et assistance à l’appontage ; RPC, Inde, Russie) disposent d’une piste munie d’un tremplin en bout de piste afin de faciliter l’envol d’appareils pourvus d’une importante force de poussée. Embarquant des avions plus légers dotés d’un rayon d’action moindre, les STOBAR subissent des contraintes de décollage relatives à la force et à la direction des vents, ce que le catapultage permet d’éviter. Mais ce type de porte-aéronefs, avec sa taille réduite, peut se diluer dans le trafic maritime, les aéronefs pouvant même se poser sur des navires civils comme des portes-containers comme le programme de recherche ARAPHO de l’US Navy tendait à le démontrer.

La configuration STOVL (Short take off but vertical landing ; décollage court et atterrissage vertical ; Royaume-Uni, Italie, Espagne, Australie et Turquie) fait d’eux des porte-aéronefs plutôt que des porte-avions au sens propre. Disposant d’avions à décollage court et/ou vertical, mais aussi d’hélicoptères, c’est là encore la capacité d’emport et le rayon d’action qui sont affectés. Le Royaume-Uni, qui avec sa classe Invincible avait fait du STOVL le standard dans sa marine, a longtemps hésité entre CATOBAR et STOVL pour la nouvelle classe Queen Elizabeth, y compris pendant sa construction, avant de revenir à une configuration STOVL.

Les programmes de porte-avions dans la région asiatique

L’Inde

Delhi a dû se doter tôt d’un porte-avions, son objectif était alors de participer à la défense du Commonwealth face au bloc sino-soviétique quand l’Indian Navy était encore commandée par des Anglais puis ensuite de contrer la menace du Pakistan. Porte-avion léger dont la construction a débuté pendant la Seconde Guerre mondiale, mais qui s’était interrompu à l’issue de celle-ci, l’ancien HMS Hercules fut acquis par l’Inde en 1957. Terminé dans les chantiers de Belfast, il intégra la marine indienne en mars 1961 sous le nom d’INS Vikrant avec des Hawker Seahawk comme aviation embarquée. Après avoir été déployé dès décembre 1961 au large de Goa pendant l’opération Vijay[3]Annexion de Goa, il ne participera pas au conflit indopakistanais de 1965 étant en cale sèche. En 1971, il prendra part aux opérations en bombardant le Pakistan oriental qui deviendra le Bangladesh. Un temps menacé par le sous-marin pakistanais, le Ghazi, le naufrage de ce dernier lui laissait le champ libre. Trop petit pour recevoir des chasseurs bombardiers à réaction, il sera transformé une première fois de 1979 à 1981 en porte-aéronefs afin d’accueillir des Hawker Sea Harrier Britannique à décollage court et une seconde fois de 1985 à 1987 pour recevoir des Hawker Sea Harrier en configuration STOVL. L’INS Vikrant sera renforcé en 1987 par le HMS Hermès, vétéran des Malouines, et rebaptisé INS Viraat. Lui aussi doté de Hawker Sea Harrier, il devait compenser les nombreuses immobilisations du Vikrant.

L’Indian Navy dispose alors de deux porte-aéronefs, capable de projeter une vingtaine de Sea Harrier, mais le Pakistan possède des missiles Harpoon qui, tirés depuis ses sous-marins ou sa flotte de surface, limitent l’efficacité de l’Indian Navy. Il faudra la fourniture par les Soviétiques de missiles analogues aux Harpoon américains, les SS-N-25 Switchblade, pour qu’une réflexion s’engage sur l’utilité du porte-avions au sein de la marine indienne. Finalement, la construction d’un réseau de surveillance et/ou de bases aériennes capable de protéger le territoire indien est plus couteuse que la construction d’un nouveau porte-avions, l’objectif étant d’en posséder trois afin d’en avoir au moins un disponible en cas de conflit. En 1988, le gouvernement indien signe avec la Direction des Constructions Navales française un contrat d’assistance technique afin de réaliser le troisième porte-avions en Inde. Devant le cout du projet, il est abandonné et il faudra attendre le désarmement du Vikrant en 1997 pour que l’Inde signe avec la Russie en décembre 1998 un protocole d’accord pour acquérir le quatrième exemplaire de porte-aéronefs de la classe KIEV, l’Amiral Gorchkov.

Vendu en 2004 après d’âpres négociations, il ne sera livré qu’en novembre 2013 à la marine indienne et inauguré symboliquement en juin 2014 par Narendra Modi lors de son premier déplacement intérieur. Restructuré à partir de 2004, il devait être remis à l’Indian Navy en aout 2008, mais des questions d’équipements et des retards dans le chantier sont à l’origine de retards forçant le gouvernement indien a retardé le retrait de l’INS Viraat de 9 ans, 2018 au lien d’aout 2009. Rebaptisé INS Vikramaditya, il est en configuration STOBAR et équipé de Mig-29K. Confiée au chantier de Severodvinsk, la refonte doit permettre l’élargissement du pont d’envol, l’installation de brins d’arrêt et l’ajout d’un tremplin sur la proue. Entre temps, en mai 1999, le Viraat n’a pu participer au bref conflit du Kargil étant en cale sèche pour une refonte d’une durée de deux ans.

En 2006, le gouvernement indien relance l’idée d’un porte-avions « indigène », l’Indian Aircraft Carrier est né sur papier avec l’assistance des chantiers italiens Fincantieri et russe Nevskoye. Reprenant le nom d’INS Vikrant, il est mis sur cale en février 2009, lancé en 2013, en configuration STOBAR et équipé de Mig-29K et d’hélicoptères russes Ka-31. Il devait intégrer l’Indian Navy en 2018, mais les délais dans l’acquisition d’équipement auprès de la Russie repoussent cette date à 2022[4]Vavasseur Xavier,  India’s Indigenous Aircraft Carrier INS Vikrant Set For 2022 Commissioning, 2020. [En ligne : … Continue reading. L’Inde ne dispose donc que de deux porte-avions au lieu des trois prévus, ce qui lui aurait permis de déployer deux groupes aéronavals à l’est et à l’ouest en cas de nécessité tandis que le troisième porte-avions serait en cale sèche. En 2012, un second porte-avions de construction indienne est prévu, l’INS Vishal en version CATOBAR, d’un tonnage supérieur au Vikrant, 65000 tonnes contre environ 40000 tonnes.

La Chine

En 1980, Liu Huaqing, amiral de la PLA-N visite le porte-avions américain Kitty Hawk et il en ressort convaincu que la Chine doit se doter d’une flotte de porte-avions. Chef de la marine chinoise de 1982 à 1988, il initie des études de faisabilité à l’Institut de recherche de la marine à Shanghai dès 1982 et crée à l’Académie navale de Guangzhou en 1984 un cours de commandement pour les pilotes de l’aéronavale. C’est lui qui théorise en 1986 la « stratégie navale de défense au large », impliquant de contrôler successivement les chaines d’ile qui définissent la zone maritime ou la PLA-N doit pouvoir intervenir avant d’être, à l’orée des années 2040-2050, une blue water navy. Plusieurs essais de catapultage à partir d’installation à terre et d’acquisition de coques de porte-avions ont lieu dans les années 1980 (celle du Melbourne auprès de l’Australie en 1985, tentative d’acheter l’ex-porte-avions américain Shangri-La qui échoue).

En 1995, malgré l’embargo sur les armes, un chantier naval espagnol propose à la Chine deux projets de porte-avions, l’un de 23000 tonnes, le SAC-200, l’autre de 25000 tonnes, le SAC-220[5]Lok, J., Karniol, R., Spain offers carriers designs to Chinese, Jane’s Defence Weekly, 1995., mais Pékin ne donnera pas suite. En 1997, une compagnie chinoise parvient à acquérir auprès de la Russie la coque du Varyag de la classe Kuznetsov afin d’en faire officiellement un casino flottant. Remorqué vers les chantiers de Dalian en 2001, sa construction reprend en 2005 et en 2007, la Chine admet officiellement qu’elle se dote d’un porte-avions. Rebaptisé Liaoning, il effectue ses premiers essais en mer en novembre 2011 et il est inauguré par le Président Hu Jintao en septembre 2012. Deux mois plus tard, la copie chinoise du SU-33, le J-15, réalise son premier appontage.

En décembre 2015, la construction d’une copie de l’ex-Varyag est officialisée, le type 001A. Lancé en 2017 et baptisé le Shandong, c’est le premier construit domestiquement par les chantiers de Dalian. Il débute ses essais en mer en mai 2018 et est commissionné en décembre 2019 tandis qu’un troisième porte-avions, beaucoup plus imposant et de configuration CATOBAR, le type 003, est en chantier depuis 2015. Un quatrième, à propulsion nucléaire, le type 004, serait également en chantier, mais comme tout ce qui concerne l’APL, les détails sont révélés lorsque cela sert un intérêt politique et diplomatique.

Le Japon

Contraint par l’article 9 de sa constitution, le Japon ne peut disposer théoriquement de moyens de projection lui permettant de mener des missions offensives. En 1981, l’affirmation du Premier ministre Suzuki Zenko comme quoi comme quoi le Japon défendrait ses lignes d’approvisionnement à une distance de 1000 nautiques souleva de nombreuses interrogations[6]Weisman Steven, Japanese premier vows ‘even greater efforts’ on defense, 1981. [En ligne : https://www.nytimes.com/1981/05/09/world/japanese-premier-vows-even-greater-efforts-on-defense.html] … Continue reading. Élément phare de la Seconde guerre mondiale dans le pacifique, la marine impériale et ses porte-avions y ont laissé un souvenir douloureux. Le développement de navires hybride depuis les années 1970 avec les classes Haruna puis Shirane, des destroyers porte-hélicoptères, marque la volonté japonaise de disposer à nouveau de ponts d’envol.

Remplaçant les Shirane et Haruna, la classe Izumo est, elle, beaucoup plus imposante avec un pont d’envol continu. Les classes Hyuga (200 mètres) et Izumo (240 mètres) laissent peu de doutes sur leur adaptabilité en cas de nécessité. En décembre 2018, le gouvernement japonais annonce qu’il va moderniser la classe Izumo afin qu’elle puisse recevoir la version STOV/L des F35, les F-35B[7]Gady Franz-Stefan, Japan to Convert Izumo-Class into F-35-Carrying Aircraft Carrier, 2018. [En ligne : … Continue reading. Ainsi, c’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que le Japon dispose à nouveau de navires que l’on peut qualifier non plus de porte-aéronefs, mais de porte-avions. Cependant, ne disposant pas de tremplin pour faciliter leurs envols, les F-35B devraient décoller verticalement, diminuant drastiquement leur rayon d’action alors que le Japon ne dispose pas de ravitailleurs en vol suffisant pour corriger ce problème.

Références

Références
1Déni d’accès et interdiction de zones.
2Henrotin Joseph, Les fondements de la stratégie navale au XXI siècle, Paris, Economica, 2011, 488 p.
3Annexion de Goa
4Vavasseur Xavier,  India’s Indigenous Aircraft Carrier INS Vikrant Set For 2022 Commissioning, 2020. [En ligne : https://www.navalnews.com/naval-news/2020/02/indias-indigenous-aircraft-carrier-ins-vikrant-set-for-2022-commissioning/]. Consulté le 23 mai 2020.
5Lok, J., Karniol, R., Spain offers carriers designs to Chinese, Jane’s Defence Weekly, 1995.
6Weisman Steven, Japanese premier vows ‘even greater efforts’ on defense, 1981. [En ligne : https://www.nytimes.com/1981/05/09/world/japanese-premier-vows-even-greater-efforts-on-defense.html] Consulté le 23 mai 2020.
7Gady Franz-Stefan, Japan to Convert Izumo-Class into F-35-Carrying Aircraft Carrier, 2018. [En ligne : https://thediplomat.com/2018/12/japan-to-convert-izumo-class-into-f-35-carrying-aircraft-carrier/] consulté le 20 mai 2020.