Le Ladakh se situe au cœur du contentieux frontalier sino-indien qui court sur 3488 kilomètres de frontières non définies, ce qui en fait la frontière disputée la plus longue au monde. Depuis l’affrontement de Galwan en 2020, la situation sur la frontière semble stable, voire figée, en attente d’une avancée qui viendrait des différents rounds de négociations entre les deux pays, 16 jusqu’ici. Mais ce n’est que la souche dangereuse d’une militarisation accrue de la frontière.
Focus sur le Ladakh, les ponts de la discorde et sur deux autres zones de cette poudrière. Dans la seconde partie de ce retour du journal des tensions sino-indiennes, focus sur la troisième mandature de Xi, et son discours, et son impact sur la relation bilatérale, mais également sur les inquiétudes indiennes devant la multiplication des navires de la PLAN dans l’océan indien et des navires « de pêche » chinois.
1 – Les discussions entre l’Inde et la Chine
2 – Le cas du patrolling point 15
3 – Des conditions difficiles
4 – Les ponts sur le lac Pangong tso
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1 – Les discussions entre l’Inde et la Chine
En septembre 2022 se tenait à Samarkand le 22ème sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui regroupe, entre autres, plusieurs pays d’Asie centrale, la Russie, l’Inde et la Chine. À cette occasion, une rencontre entre le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi était évoquée, mais elle n’aura lieu qu’au G20 quelques semaines plus tard. Ce face-à-face entre les deux dirigeants est le premier depuis l’affrontement de Galwan en 2020, le 16ème round de négociations sur la LAC l’ayant, peut-être, facilité.
En effet, en juillet 2022, la rencontre entre les commandants indien et chinois a cette fois abouti à un résultat concret, le désengagement de troupes, matériels et infrastructures autour de la zone de Gogra-Hotsprings (Patrolling point 15, PP15) située dans le secteur ouest de la Line of Actual Control. Les opérations ont commencé début septembre avec pour objectif principal de ramener cette zone à sa « configuration » pre-galwan. Cela implique le retrait des troupes et le démantèlement des structures de part et d’autre avec des missions conjointes effectuées pour vérifications.
2 – Le cas du patrolling point 15
Le désengagement de PP15 doit cependant être relativisé. C’est un signal positif qui peut permettre d’avancer dans les pourparlers, mais ce retrait n’est que de quelques kilomètres. Avant Galwan, 8000 à 10000 soldats indiens étaient stationnés dans cette région, un nombre en forte augmentation après l’affrontement. Même si l’Inde ramène à ce niveau sa présence militaire, elle ne peut se permettre un désengagement complet de la zone pour une raison simple, le temps qu’il lui faudrait pour en redéployer. En effet, si la Chine peut rapidement déployer des troupes en provenance du plateau tibétain (en deux jours) il faudrait au moins deux semaines à l’Inde pour le faire à cause des cols que son armée devra emprunter, comme ceux de Khardung La, Chang La (5360 mètres) ou Tasak la en provenance de Leh.
De plus, depuis 2020, les deux parties ont construit nombre d’infrastructures pour protéger leurs zones respectives. La Chine a bâti une nouvelle route entre une de ses bases d’entrainement au Xinjiang, Shahidullah, et l’est du Ladakh sans oublier la construction d’aérodromes, de ponts, le déploiement de radars et de défense aérienne. Quant à l’Inde, elle a, dans une moindre mesure, fait de même et les deux parties ont massé des dizaines de milliers de troupes, des tanks, de l’artillerie, des hélicoptères, des missiles et des avions sur les 832 kilomètres de la LAC. Ces équipements sont pour certains à moins de 5 kilomètres de la ligne de contrôle. Le désengagement est ainsi plutôt « mesuré ».
3 – Des conditions difficiles
Ce théâtre d’opération, comme la plupart de la LAC, subit des conditions climatiques difficiles ce qui a un impact sur les hommes, le ravitaillement et le temps qu’il faut pour les déployer. Les armées doivent affronter le vent et le froid qui affectent leur vigilance et leur appétit, mais aussi les effets du soleil et des ultraviolets. Le manque d’oxygène a un impact psychologique et physiologique, les troupes ayant besoin d’un temps d’acclimatation, leurs déploiements peut prendre une dizaine de jours. Cette période, à laquelle s’ajoute le temps de trajet, est source de difficultés pour l’armée indienne.
Le ravitaillement est lui aussi compliqué par ce climat, seuls les quatre mois d’été permettent à une centaine de camions par jour d’apporter vivres, munitions, matériels médicaux et carburants. Cela ne décourage pas pour autant les touristes qui viennent sur les bords du lac Pangong et offre un peu de répit à une économie locale fortement affectée par les tensions. À la différence de leurs homologues chinois, les bergers indiens ne peuvent plus faire pâturer leur bête, l’armée indienne leur interdisant l’accès à la zone, leur seule alternative étant de servir comme porteur pour l’armée, comme leurs aïeuls pendant le conflit de 1962.
4 – Les ponts sur le lac Pangong tso
Situé au Ladakh, c’est un des points d’orgue du contentieux frontalier avec la présence des « fingers » évoqués dans un billet précédent. Contrôlé au 2/3 par la Chine et le tiers restant par l’Inde, il fut le théâtre, pendant l’été 2020, d’un jeu de chat et de la souris entre les forces indienne et chinoise qui cherchaient à obtenir un avantage stratégique sur l’adversaire. À ce jeu, c’est l’Inde qui prit l’avantage en occupant les hauteurs du lac fin aout 2020, a Rezang La et Gurung Hill entre autres. Ce lac est une zone grise dans le flou de la Line of actual control. Il ne faudra pas attendre le conflit frontalier de 1962 pour voir les Indiens être forcés de reculer.
Auparavant installés au fort de Khurnak, un ancien fort tibétain construit en 1867, ils durent abandonner leur avant-poste sous la pression chinoise dès 1958, reculant de 20 kms vers l’ouest. Le fort est le point de départ d’un second pont construit par la Chine sur un territoire revendiqué par l’Inde. C’est un ouvrage qui permettra de raccourcir l’acheminement éventuel de renfort et éviter une boucle de 130 kms autour du lac. Si les Indiens contrôlent toujours les hauteurs, les deux ponts chinois restant à portée de l’artillerie indienne, le second permettra aux forces de l’APL, y compris des équipements lourds, de ne parcourir que 50 kms depuis leur base de Rutog jusqu’à la ligne de contrôle, au lieu de plus de 200 kms auparavant.
Conclusion
La situation reste tendue malgré un désengagement sur un point spécifique à l’exemple du plateau de Depsang ou les deux armées se font face à 4800 mètres d’altitude. Il s’agit pour la RPC d’occuper un terrain, d’empêcher les patrouilles indiennes et si l’on constate parfois un désengagement mutuel comme ce fut le cas à Gogra-Hotsprings, les forces chinoises restent stationnées sur un territoire revendiqué par l’Inde. A ce jour, la date pour la 17ème rencontre n’est toujours pas fixée. Depuis Galwan, Inde et Chine bâtissent des infrastructures autour de la LAC, massent 50000 soldats et de nombreux équipements, militarisant chaque jour un peu plus la région. Cependant, si l’Inde a choisi de « montrer ses muscles » et de ne pas reculer, reste que la Chine s’installe durablement sur des territoires qu’elle revendique en pratiquant la politique du fait accompli (voir ici)…..
Pour aller plus loin :
China’s new bridge on Pangong Tso forces India to rethink posture in Ladakh