Tandis qu’approche le premier anniversaire de l’affrontement de Galwan qui avait laissé 20 soldats indiens et au moins 4 soldats chinois morts, où en sont les discussions et le plan de désengagement défini lors de la neuvième rencontre entre hauts gradés ? Depuis février, on assiste plutôt à un renforcement des troupes en présence qu’a un désengagement dans les zones les plus à risque dans la région du Ladakh. Sachant que l’affrontement de Galwan a eu lieu pendant l’exécution d’un plan de désengagement qui devait éviter que les tensions survenues en mai 2020 ne dégénèrent, à l’approche de l’été, que se passe-t-il sur la LaC ?
Le statu quo persiste sur la Line of Actual Control
Si la situation est restée plutôt calme, mais tendue, sur la frontière de facto que représente la LaC depuis l’été dernier, un journal indien, rapportait à la fin du mois de mai qu’une patrouille indienne et une patrouille chinoise s’étaient retrouvées face à face dans la zone de Galwan. Ce qui, selon un accord bilatéral, ne devait pas se produire sachant qu’un no man’s land de 3 kilomètres avait été créé suite à l’affrontement de juin 2020.
Si le journal fonde son article sur des révélations émanant d’un membre du gouvernement, l’armée indienne réfute, elle, cette information, n’y voyant qu’un moyen de perturber les pourparlers sino-indiens. Néanmoins, même si quelques troupes ont bien opéré un retrait autour du lac Pangong Tso à partir de février, 50000 à 60000 soldats de chaque bord restent déployés dans les secteurs les plus sensibles de la LaC. De plus, on assiste depuis plusieurs semaines à des redéploiements de troupes et à un renforcement des moyens militaires de part et d’autre.
Un renforcement des moyens militaires
Plutôt délaissée en comparaison de la région militaire de Pékin et de la cote qui fait face à Taiwan, la région militaire du Xinjiang reçoit depuis plusieurs mois de nouveaux équipements. Intégrée au Western Command Theatre de l’APL, elle est désormais une zone de première importance pour Pékin. Selon un journal chinois, trois nouveaux systèmes d’armes y sont désormais opérationnels, un véhicule blindé à roues, le Type 08 de Norinco, un obusier automoteur d’un calibre de 122mm et un lance-roquettes multiple à longue portée, le PHL-03, capable de cibler simultanément plusieurs objectifs. En plus de ces trois nouveaux systèmes d’armes, l’APL a déployé un véhicule amphibie blindé qui sied aux hautes altitudes propres au théâtre du Ladakh, un nouveau blindé léger, le Type-15, équipé des dernières technologies en système de conduite de tir ainsi qu’un système de défense aérienne à courte portée, le HQ-17A.
Quant à l’Inde, qui compte sur le respect des engagements et des protocoles définis par les deux parties lors des 11 rencontres, le renforcement des moyens de l’APL et surtout son bond technologique n’est pas sans l’inquiéter. D’où la relance d’un projet déjà vieux de 10 ans, celui de la construction d’un aérodrome militaire au plus près de la LaC, à Chaukhutia. Sur une zone de 50 hectares, avec une piste de 2.5 kilomètres de long et 200 mètres de large, cela permettrait à l’Indian air Force d’intervenir plus rapidement, mais également de déployer plus facilement des renforts dans la zone. À l’heure actuelle, l’IAF doit se contenter de l’aérodrome d’Izatnagar, à plus de 500 kilomètres de distance. Reste pour elle à acquérir les terres qui appartiennent à un autre ministère…
Au niveau politique, un dialogue difficile
Les médias chinois n’ont fait aucun mystère de ces déploiements ainsi que de leurs spécifications quant à leur adaptabilité aux missions à haute altitude, que ce soit sur des terrains difficiles ou les hauts plateaux. Ni sur les nombreux exercices menés ces derniers mois, plutôt limités à proximité de la LaC mais plus importants dans une zone située à 1000 Kms.
Et cela, alors que les autorités chinoises semblent ne plus vouloir utiliser résoudre le contentieux uniquement à travers les rencontres du Working Mechanism for Consultation and Coordination on India-China Border Affairs, mis en place en janvier 2012, ou celui entre les commandements militaires du Xinjiang pour l’APL et du XIV corps pour l’Inde. En effet, à l’est du Ladakh, autour de Gogra-Hot Springs, l’APL souhaite que le désengagement soit décidé au niveau local, ralentissant ainsi le processus, au grand dam de l’Inde qui voit l’APL s’implanter autour de Pangong Tso, Gogra-Hot Springs et dans la zone de Chang Chemmo-Kongka La.
Quant aux autorités indiennes, le Chef d’état-major de l’armée de terre, le général Manoj Naravane, a rappelé début juin qu’un désengagement complet était nécessaire, restant sur des positions fermes, mais ne souhaitant pas l’escalade, plutôt un retour aux positions d’avril 2020. Pour l’instant, l’armée indienne, occupant la plupart des positions hautes dans les zones de friction, pense être dans une posture plus favorable que l’APL, mais les nouveaux équipements reçus par cette dernière pourraient changer la donne. Le porte-parole du ministère des Affaires extérieures a réitéré la position du gouvernement le 3 juin, que les troupes chinoises restent sur leurs positions afin d’éviter tout incident.
Pour la Russie, c’est une question sino-indienne
Allié déclaré à la fois de Delhi, mais également de Pékin, Moscou a rappelé le 5 juin qu’aucune puissance extrarégionale ne devait s’impliquer dans le règlement du contentieux entre l’Inde et la Chine, estimant que les dirigeants politiques de ces deux pays étaient suffisamment responsables pour que la situation ne s’aggrave pas. Par cette déclaration, c’est le Quad, un OTAN asiatique selon Sergueï Lavrov, qui est également visé.
Comme en mer de Chine méridionale, il s’agit pour Pékin de démontrer que ses forces militaires sont bien présentes au Ladakh. Tandis que pour l’Inde, considérant ces territoires comme siens malgré sa défaite en 1962, elle appelle au retrait des forces chinoises tout en renforçant elle aussi ses moyens. Prise localement, une situation de blocage ne ferait que nuire aux relations bilatérales, comme c’est le cas depuis un an, mais avec les problèmes de politique intérieure auxquelles doit faire face le Premier ministre indien et les postures agressives de la Chine en mer de Chine méridionale, aucune des deux parties ne souhaite faire le premier pas, au risque d’un nouvel accrochage semblable à Galwan, voire plus grave.
Pour aller plus loin (en anglais) :
Indian Air Force gives its go-ahead for Chaukhutia airstrip
Disengagement along LAC remains unfinished: MEA
No ‘extra-regional power’ should interfere in bilateral issues of India and China: Putin