L’Observer Research Foundation publie un rapport sur la stratégie britannique dans la région indopacifique. En se basant sur les orientations de politique étrangère définies par Londres en mars 2020, le rapport de l’ORF présente les trois éléments qui ont poussé le Royaume-Uni à définir, lui aussi, une nouvelle stratégie pour l’indopacifique : la Chine, l’impact économique du Brexit et les liens entre Londres et Washington. Cependant, on peut également s’interroger sur les positions indienne et japonaise quant à la volonté affichée des Britanniques de revenir « au-delà de Suez ».
Le FOIP, Free and Open Indo Pacific à l’européenne
Bien que cette notion d’indopacifique reste à définir plus clairement, la référence à l’action de la Chine (non-respect de l’intégrité territoriale et posture économique qualifiée d’agressive) est le dénominateur commun sous-entendu de toutes les stratégiques définies jusque-là. Il est probable que, sous l’action des États membres, l’Union européenne présente elle aussi une telle stratégie. Néanmoins, alors que la France, l’Allemagne et les Pays bas ont été les premiers États membres à le faire, ce n’était pas nécessairement pour les mêmes raisons.
Parmi les États membres de l’UE
Si la volonté de dépasser la nouvelle bipolarité créée par l’antagonisme commercial États-Unis-Chine est commune, tout en se rapprochant des États démocratiques de la région (Japon, Inde et Australie en premier lieu), l’Allemagne met en avant un intérêt commercial ambigu devant la menace envers son économie que représente la guerre commerciale sino-américaine.
Ambiguë, car pour Berlin, les signaux en provenance de Pékin sont plutôt clairs. Plutôt que de maintenir à tout prix une alliance sécuritaire avec les États-Unis, Berlin devrait favoriser son principal partenaire économique, la Chine, car de grandes entreprises allemandes comme Volkswagen ou BASF sont dépendantes du marché chinois. C’est une des raisons de l’appui apporté par l’Allemagne à une conclusion rapide du Comprehensive Agreement on Investment. Mais dans le même temps, l’objectif de sa stratégie indopacifique est également de diversifier ses partenariats économiques et de promouvoir la défense des droits humains, deux positions que Berlin, et le/la successeur d’Angela Merkel, devra concilier.
Pour la France, qui est désormais la seule puissance militaire de l’Union européenne à être présente dans cette région, il s’agit avant tout de défendre ses intérêts et sa souveraineté. Disposant des moyens d’exercer un hard power, l’orientation n’est pas qu’économique. De plus, malgré le Brexit, elle peut compter sur le partenariat établi avec les Britanniques par les accords de Lancaster house en 2010.
Pour le Royaume-Uni
Deux dates sont importantes, 2012 avec la signature d’un traité de défense avec le Japon et 2016 avec le Brexit et le départ programmé du marché commun européen. Malgré des relations commerciales plutôt cordiales entre la Chine et le Royaume-Uni sous l’ère Cameron avec la quête des investissements chinois, l’attitude de Pékin en mer de Chine et à Hong Kong commençait à préoccuper les Britanniques. D’où le traité avec Tokyo ainsi que la participation de Londres à des exercices maritimes avec le Japon et les États unis, comme la mission de l’HMS Argyll. D’autre part, quelques mois après le Brexit, Boris Johnson, alors secrétaire aux affaires étrangères, qualifiait le retrait britannique « à l’est de Suez » d’erreur, affirmant sa volonté de faire de nouveau du Royaume-Uni un acteur très impliqué dans cette région, à la fois économiquement, diplomatiquement et militairement.
En effet, Londres peut disposer d’installations au Bahreïn, au Sultanat d’Oman, à Singapore ainsi qu’au Japon et peut être bientôt en Inde. D’ailleurs, le Queen Elizabeth, accompagné de son Carrier Strike group, va se rendre dans l’Océan indien et dans le Pacifique pour son voyage inaugural. Pour les cinquante ans du Five Powers Defence Agreement, les Britanniques pourraient renforcer leur coopération dans le domaine du renseignement avec l’Inde et le Japon, mais aussi dans la lutte contre la cybercriminalité avec la Commonwealth Cyber Declaration.
Avec l’Inde
Sous David Cameron, les liens entre Londres et Delhi se sont renforcés même s’ils restaient deux contentieux qui irritaient l’Inde : la politique migratoire anglaise et un manque de fermeté vis-à-vis du Pakistan quant à son soutien au terrorisme. Avec le Brexit, Londres a modifié sa politique migratoire et soutenu une motion à l’ONU condamnant le Pakistan, car il ne ferait pas assez pour lutter contre le financement du terrorisme.
Pour le Royaume-Uni, l’Inde sera l’un de ses partenaires privilégiés en indopacifique alors que Delhi a déjà bâti des partenariats avec le Japon, la France et l’Australie. Ainsi, Londres doit combler un certain retard, Boris Johnson s’employant à le combler en mettant en avant la relation avec un « partenaire indispensable » pour le Royaume uni et la coopération dans le développement de vaccin contre le Covid-19 (AstraZeneca et India’s Serum Institute) ainsi qu’en nommant un nouveau High commissionner, Alex Ellis, spécialiste des questions de défenses.
Avec le Japon
Comme dans le cas de la relation indo-britannique, le Brexit sera le déclencheur du renforcement de la relation entre Londres et Tokyo. Marquées par l’accord de libre-échange entré en vigueur en janvier 2021, les relations commerciales se développent, tout comme les convergences stratégiques. Après trois ans sans se rencontrer bilatéralement, le sommet « 2+2 » entre les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays s’est tenu début février. Cette rencontre, accès sur la sécurité maritime dans la région, a permis aux deux capitales de rappeler leur attachement à la démocratie, la liberté, les droits de l’homme et le respect du droit international.
Ainsi, avec l’indopacifique et l’Inde comme partenaire principal, le Royaume-Uni veut rendre plus concret l’idée de « Global Britain », mais elle devra compter sur la présence de la Chine et des États membres de l’Union européenne présents dans la région, voir avec une stratégie commune adoptée par l’UE. Avec le déploiement de la Royal Navy dans la région et le renforcement des liens avec l’Inde et le Japon, les réactions chinoises, et de ses garde-côtes, lors du passage du HMS Queen Elisabeth seront à suivre de près….
Pour aller plus loin (en anglais) :
The UK Shifts to the Indo-Pacific: An Opportunity for India-UK Ties