Dans le contexte du coup d’État au Myanmar, quelle est la place de l’Inde dans le tissu multilatéral régional, en particulier au sein du BIMSTEC qui regroupe tous les pays de la baie du Bengale ainsi que le Bhutan et le Népal ? Le renforcement du partenariat entre l’Inde et le Japon peut-il aider Delhi à s’affirmer dans son voisinage ?
La Bay of Bengal Initiative for MultiSectoral Technical and Economic Cooperation en 2021
Traditionnellement, l’Inde peut montrer quelques réticences à s’engager dans le multilatéralisme régional et lui préfère le bilatéralisme. Si l’échec de la SAARC peut être imputé aux tensions indopakistanaises, le BIMSTEC, créé en 1997, aurait pu servir la Look East Policy initiée par Narasimha Rao en 1991, mais c’est sous l’ère de Narendra Modi et son Act East Policy que ce groupement pourrait servir la politique étrangère indienne. Concentré autour de la baie du Bengale, le BIMSTEC peut lui ouvrir des opportunités économiques et géostratégiques et affirmer sa présence dans la baie du Bengale.
Si cela peut paraitre évident vu son poids régional, le renforcement de la présence chinoise en Birmanie, au Bangladesh, au Sri Lanka et aux Maldives, démontre pourtant que l’Inde n’est plus seule et que sa stratégie Neighbourhood First ne se fera pas sans rencontrer d’obstacles. C’est pourquoi, en 2016, Narendra Modi a renforcé son Act East Policy en misant sur le BIMSTEC afin de renforcer l’interconnectivité avec cette région par différents moyens.
Cependant, ce BIMSTEC doit cohabiter avec les initiatives bilatérales que Delhi tend à favoriser. Un exemple type est le cas du projet d’amélioration du réseau fluvial et autoroutier que l’Inde mène bilatéralement, mais également au sein du groupement régional BBIN (Bangladesh, Bhutan, Inde, Népal) et du BIMSTEC. Le ministre indien des Affaires extérieures avait déclaré lors de sa prise de fonction en juin 2019 que l’Inde se devait d’utiliser tous les canaux disponibles pour faire avancer ses projets, le principal étant la liaison routière entre la Thaïlande (Mae Sot) et l’Inde (Moreh), en passant par le Myanmar.
Ainsi, le rôle du BIMSTEC dans la politique étrangère reste à part. Si le pouvoir politique affirme, et ce dès l’ère Singh, vouloir renforcer le BIMSTEC, les déclarations peinent à se transformer en actes. Et ce, bien que les deux dernières années aient vu le renforcement de son fonctionnement avec la création d’un comité permanent et l’accroissement du nombre de directeurs régionaux. Mais parmi les 14 domaines de coopération, l’Inde privilégie le contre-terrorisme, les transports, le tourisme et la gestion des catastrophes naturelles, un BIMSTEC à la carte…
Quelles conséquences sur sa politique de sécurité régionale ?
Parmi les membres du BIMSTEC, alors que le Myanmar est un cas particulier, la Thaïlande et le Népal sont proches de Pékin. Quand en 2018, l’Inde a organisé un exercice militaire, le Népal avait refusé d’y participer et la Thaïlande avait fait le choix de n’être qu’observatrice. Cette expérience condamna toutes organisations d’exercices impliquant des militaires dans le futur, outre pour organiser des secours en cas de catastrophes naturelles.
Pourtant, lors de sa création en 1997, le groupement régional était perçu comme une réaction au retour de la Chine dans la baie du Bengale, quelques siècles après Zheng He. Et quelques autres décennies plus tard, la Belt Road Initiative a ancré la Chine dans la région. Présente dans 5 des 7 pays membres (Népal, Bangladesh, Myanmar, Sri Lanka et Thaïlande), elle a investi dans des infrastructures portuaires d’envergures à Kyaukpyu au Myanmar, à Hambantota au Sri Lanka et à Gwadar au Pakistan, empêchant le BIMSTEC de favoriser une coopération militaire renforcée entre les pays de la région.
Ainsi, l’Asie du Sud, avec la SAARC et le BIMSTEC comme organisations régionales, ne dispose pas d’un tissu multilatéral assez productif pour contenter Delhi. Elle doit donc trouver des partenaires plus lointains pour renforcer sa présence dans la baie du Bengale. C’est par exemple le cas avec l’exercice Malabar dont le dernier a vu la participation de l’Australie en plus de l’Inde, des États-Unis et du Japon. Cette coopération avec le Japon ne fait que se renforcer, les deux pays partageant l’objectif de limiter la présence de la Chine dans l’Indian Ocean Region.
À court terme, le Japon dans l’océan indien, l’Inde en mer de Chine ?
Si Malabar a permis à la Japan Maritime Self-Defense Force de s’exercer dans l’océan indien, l’Indian Navy avait fait de même avec l’US Navy quelques mois auparavant en mer de Chine. Plus qu’une simple coopération militaire, l’Inde encourage les investissements japonais dans la région, que le Premier ministre Shinzo Abe avait renforcée dans le cadre de l’infrastructure development assistance. La nomination de Suga en remplacement de Shinzo Abe n’a pas modifié la posture défendue par le Japon, que la région indopacifique reste libre et ouverte tout en renforçant le partenariat avec l’Inde et les États-Unis. Et dans la baie du Bengale, un pays attire particulièrement l’attention à la fois du Japon, de l’Inde et de la Chine, c’est le Myanmar.
Le Myanmar et ses investisseurs
Si l’on évoque les liens très forts entre l’armée birmane et la Chine, il ne faut pas omettre les liens entre le Myanmar et le Japon. Dans le contexte troublé post coup d’État, la Chine ou l’Inde ne sont pas les seuls pays à avoir des intérêts dans ce pays.
Alors que ce pays était encore dirigé par des civils, avant le premier coup d’État de 1962, il fut le premier à recevoir, en 1954, des réparations de la part du japon. Sous la junte militaire, les relations seront plus distantes, Tokyo fournissant néanmoins une assistance humanitaire. En 2010, avec l’avènement d’une forme plus démocratique de gouvernance au Myanmar, le Japon résuma son aide au pays et y investi près de 2 milliards de dollars entre 2011 et 2020, particulièrement dans les secteurs du transport, du tourisme et de l’automobile. Et cela sans s’occuper de la question des Rohingya ou Tokyo reste silencieux, pratiquant la politique du quiet engagement.
S’il soutient les efforts de la National League for Democracy pour renforcer la démocratie dans le pays, les discussions avec les militaires birmans et la junte n’ont jamais cessé. Dernièrement, afin que les élections puissent se dérouler, c’est le Japon qui a négocié un cessez-le-feu entre l’Arakan Army et l’armée birmane, le premier depuis que les combats ont éclaté en 2018. Sur le plan économique, le Japon a proposé en novembre 2020 de relancer le développement de la zone économique Dawei Special Economic Zone, stoppé en 2013 par le retrait des investisseurs thaïlandais.
Bordant la mer Andaman et reliée par la route au golfe de Thaïlande, 8 milliards de dollars d’investissement feraient de cette zone économique la première d’Asie du Sud-est. Bien que des investisseurs chinois soient également intéressés par le projet, le gouvernement birman n’avait, jusqu’ici pas donné suite. Peut-être en raison du projet China Myanmar Economic Corridor (CMEC) qui affronte déjà certaines réticences de la part des autorités birmanes qui s’inquiètent de l’accroissement de la dette envers la Chine.
Quant à l’Inde, le Myanmar fut le premier pays à profiter des livraisons du vaccin indien contre la Covid-19, l’armée birmane dispose de son premier sous-marin grâce à l’inde et la coopération entre les gardes-frontières se renforce. Si l’Inde investit également dans le pays, de manière plus modeste que le Japon avec le Kaladan Project pour 500 millions de dollars, elle bénéficiait jusque-là de la diplomatie proactive de Tokyo qui, sans marginaliser la Chine, offrait une alternative au gouvernement birman quant au choix des investisseurs.
Le rasoir d’Ockham à l’œuvre ?
Quelle va être l’effet du coup d’État sur la présence japonaise, indienne et chinoise dans le pays ? L’armée birmane, en lien étroit avec le PCC et l’APL, a-t-elle orchestré ce coup d’État en toute indépendance ou avec la bienveillance de Pékin ? Ou, vu l’ampleur de la victoire du NLD et malgré les 25% de sièges qui lui sont réservés à l’Assemblée, l’armée a-t-elle eu peur que de nouvelles réformes démocratiques ne lui fassent perdre tout pouvoir ? Si le coup d’État se confirme, les mois qui suivent nous apporteront peut-être la réponse.
Pour aller plus loin (en anglais) :
Ministry of External Affairs, India-BIMSTEC The Bay of Bengal Initiative for Multi-Sectoral Technical and Economic Cooperation
Connect East: Explaining India’s BIMSTEC focus
Ministry of Foreign Affairs of Japan, Official Development Assistance
Ministry of Foreign Affairs of Japan, Japan’s ODA for the world
Indian Navy deploys warship in South China Sea after Galwan clash
Japan’s restrained response to the Rohingya issue