L’enjeu de la question maritime sino-indienne
Des puissances continentales ayant l’ambition de posséder une marine capable d’être projetée sur tous les théâtres du globe, voilà les ambitions de la RPC et de l’Inde. Auparavant, la RPC s’est focalisée sur la défense des côtes et le développement de capacité d’interdiction afin de gêner tout déploiement américain dans le détroit de Taiwan tandis que la marine indienne surveillait ses cotes.
L’émergence de leurs économies entraînant une augmentation des importations de matières premières ou d’hydrocarbures, la mer est devenue un enjeu stratégique. 90% du commerce extérieur indien par le volume et 70% par la valeur se fait par voie maritime dont 70% des importations d’hydrocarbures tandis que pour la RPC, c’est 90% du commerce extérieur, 65% en valeur et 85% des importations d’hydrocarbures qui transitent par mer.
Pékin s’étant lancé dans la course plus tôt que Delhi pour des impératifs de revendications territoriales, la marine de l’APL dispose aujourd’hui de capacités à même d’assurer les ambitions exposées dans les livres blancs successifs, dont la défense de la souveraineté sur les iles dans la mer de Chine du Sud énoncé dans le dernier livre blanc présenté en juillet 2019[1]Ministry of National Defense of the People’s Republic of China, China’s National Defense in the New Era, 2019. [En ligne : http://eng.mod.gov.cn/publications/2019-07/24/content_4846452.htm]. … Continue reading. La Chine et l’Inde sont deux des trois nations asiatiques qui disposent de capacités aéronavales, essentielles à la projection de forces. Le Japon ne possède que des porte-hélicoptères, mais la dimension des navires permettrait de les reconvertir en porte-aéronefs à décollage vertical. D’autre part, près de 40 nations disposent de forces sous-marines, mais seulement 6 de sous-marins nucléaires, dont la Chine et l’Inde, lui offrant la possibilité de mener des patrouilles plus lointaines.
Leurs ambitions maritimes, couplées à un renforcement et une modernisation de leurs marines affectent leur relation bilatérale. La compétition pour assurer la sécurité de leur transit maritime ou l’acquisition de ports de relâche influent sur leur diplomatie qui cherche à séduire les pays du pourtour de l’Océan Indien et de la mer de Chine. L’enjeu n’est plus la défense d’une zone, mais la capacité de projection et d’interdiction, la protection des routes maritimes tout en cherchant à acquérir les moyens nécessaires à interrompre les routes adverses.
La posture maritime indienne
Depuis 2006 et encore en 2015, l’Indian Navy clarifie sa doctrine maritime, annonçant qu’elle veut être capable de couvrir des conflits de basse intensité, une guerre conventionnelle ou posséder une force de dissuasion nucléaire crédible[2]Ministry of Defence, Headquarters Integrated Defence Staff, Joint Doctrine Indian Armed Forces, 2015, p. 34. [En ligne : … Continue reading. Elle a identifié quatre zones d’intérêt ou elle doit être capable d’opérer de manière autonome : les détroits, sa zone économique exclusive, le territoire national et sa zone de surveillance maritime, privilégiant une présence dans l’Océan indien (l’Indian Ocean Region, IOR). Elle patrouille désormais en mer de Chine pour s’entrainer avec les marines vietnamienne ou japonaise, mais aussi celles d’autres pays de l’ASEAN, ce qui ne manque pas d’irriter la Chine. En juillet 2011, un navire indien, l’INS Airavat, qui avait fait escale au Vietnam, a été contacté par la marine chinoise alors qu’il se trouvait en mer de Chine du Sud dans la zone disputée des Spratleys pour lui intimer l’ordre de quitter les eaux territoriales chinoises. L’année suivante, un navire indien en provenance des Philippines, l’INS Shivalik, en route vers le Japon a été escorté par la PLA-N lors de sa traversée des zones disputées.
Le fait que les compagnies pétrolières indiennes obtiennent des droits d’exploitation offshore des pays de l’ASEAN n’y serait pas étranger tout comme la déclaration indienne sur la nécessité de maintenir la liberté de circulation en mer de chine en janvier 2015, réitérée au sommet Shangri-la en 2018, et la conduite d’exercice avec les marines de la région non plus. La coopération maritime est désormais intégrée dans sa doctrine et elle conduit des exercices avec les puissances navales présentes dans l’océan indien, la Russie depuis 2003 (INDRA), la France depuis 2001 (VARUNA), les États-Unis depuis 1992 (MALABAR) et la Grande-Bretagne depuis 2004 (KONKAN).
De l’Asie-pacifique à l’Indo-pacifique
L’évolution du concept d’Asie-pacifique vers celui d’indo-pacifique énoncé par le Japon dès 2007 lors d’un discours au Parlement indien, combiné à l’Act East Policy (AEP), amène l’Inde à coopérer avec de nouvelles marines. Le Japon depuis 2012 (JIMEX), Singapour depuis 2014 (SIMBEX), l’Australie depuis 2015 (AUSINDEX), l’Indonésie en 2018, mais aussi avec le Brésil et l’Afrique du Sud depuis 2008 (IBSAMAR). L’Indo-pacifique possède une dimension stratégique, mais vu la présence des détroits et des voies maritimes parmi les plus importantes et les plus fréquentées du monde, elle a également une dimension économique. Elle s’intègre ainsi dans l’AEP de Narendra Modi qui souhaitait relancer la coopération avec l’ASEAN. La signature d’un partenariat stratégique avec Singapour en 2012 permet à la cité-État d’entrainer son armée de l’air sur le territoire indien et donne accès à la marine indienne à la base navale de Changi, mais des accords sont également signés avec le Vietnam en 2016 et l’Indonésie en 2018. Dernièrement, l’Inde a investi dans le développement du port indonésien de Sabang, elle fournit au Vietnam des patrouilleurs, lui assure un entrainement à la lutte anti-sous-marine et prévoit la fourniture de missiles antinavires en échange d’une relâche dans le port de Na Thrang.
La posture maritime chinoise
La Chine poursuit sa stratégie de déploiement, les nouvelles routes de soie chinoises amenant la Chine à créer des « ports-relais » chez les voisins immédiats de l’Inde (Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka et Maldives) et à Djibouti depuis 2017 tandis que l’Inde s’installe aux Seychelles, à Madagascar, au Sultanat d’Oman, sur l’ile Maurice et en Iran (Chabahar). Tout comme la marine indienne, la marine chinoise s’aventure de plus en plus dans l’Océan indien avec la patrouille d’un sous-marin nucléaire de classe Shang en 2014 dans le cadre d’une mission anti piraterie ainsi que les escales de sous-marins conventionnels de classe Yuan au Sri Lanka en septembre 2014 et à Karachi en 2015. La Chine investit également dans l’évacuation de ses ressortissants (Libye en 2011, Yémen en 2015) et l’assistance apportée aux programmes de l’ONU ou aux pays victimes de catastrophes naturelles avec un navire-hôpital géant. Elle a également déployé deux frégates en méditerranée et dans l’Atlantique en 2013 ainsi qu’en Amérique du sud et en suède en 2015 tout en menant des exercices de grande ampleur en mer de Chine méridionale, le dernier en novembre 2019. L’APL accélère la production des différents types de missiles qu’elle peut utiliser en mer de Chine ou pour gêner tout déploiement d’une force maritime adverse.
« Collier de perles », Belt road initiative, Look et Act East Policy font partie des moyens utilisés par la Chine et l’Inde pour étendre ou protéger leurs zones d’influence qui ne cessent d’évoluer. L’objectif étant la défense de leur souveraineté, mais aussi la projection de leurs forces maritimes à l’aide de « ports-relais ». Mais les ports et droits de mouillage ne sont pas les seuls éléments de leur stratégie pour une blue navy, la course au développement d’une force aéronavale indigène, en plus de leurs forces sous-marines, donne à la carrier diplomacy un nouveau sens.
Références[+]
↑1 | Ministry of National Defense of the People’s Republic of China, China’s National Defense in the New Era, 2019. [En ligne : http://eng.mod.gov.cn/publications/2019-07/24/content_4846452.htm]. Consulté le 15 mai 2020. |
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↑2 | Ministry of Defence, Headquarters Integrated Defence Staff, Joint Doctrine Indian Armed Forces, 2015, p. 34. [En ligne : https://bharatshakti.in/wp-content/uploads/2015/09/Joint_Doctrine_Indian_Armed_Forces.pdf]. Consulté le 15 mai 2020 |