Le programme nucléaire indien et sa doctrine
Le rapport de l’Inde avec l’atome est particulier. D’une part elle milite activement pour sa disparition totale et refuse que l’arme nucléaire soit un moyen d’imposer le règne de la puissance, d’autre part elle a commencé son programme de recherche peu de temps après son indépendance. Posséder l’arme nucléaire est pour l’Inde un moyen de prétendre à un statut de puissance régionale et assurer sa position internationale (elle réclame un siège permanent au Conseil de sécurité) tout en s’assurant que ses voisins chinois et pakistanais ne la voient pas comme un pays vulnérable.
La doctrine nucléaire indienne a été exposée le 17 août 1999[1]Draft Report of National Security Advisory Board on Indian Nuclear Doctrine, http://www.fas.org/nuke/guide/india/doctrine/990817-indnucld.htm par le conseiller indien à la sécurité nationale, Brajesh Mishra. L’usage de l’arme atomique y est dénoncé comme la plus grave menace contre l’humanité, la paix et la stabilité du système international. Les objectifs de l’Inde tendent au développement économique, politique, social, scientifique et technologique dans un cadre de paix et de démocratie tout en protégeant le droit du peuple indien à son autonomie de décision, aussi l’Inde a besoin d’une capacité crédible de dissuasion nucléaire et de capacités de ripostes en cas d’échec de la dissuasion. L’Inde ne sera pas la première à effectuer une attaque nucléaire et la survie de l’arsenal est essentielle pour une frappe en second. Elle s’interdit tout usage ou toute menace d’attaque nucléaire à l’encontre de pays non-détenteur d’un arsenal nucléaire, ni allié à un pays qui en soit muni. Mais en 2003, l’Inde a précisé qu’elle se réservait le droit d’utiliser ses forces nucléaires, y compris en cas d’attaque biologique ou chimique.
L’arsenal nucléaire est sous le contrôle des plus hautes autorités politiques légales, le Premier ministre seul est habilité à autoriser l’usage des armes nucléaires. Les missiles basés à terre sont placés sous l’autorité de l’armée de terre tandis que les engins nucléaires aéroportés sont sous le commandement de l’armée de l’air. L’administration de ces forces est gérée par un service commun, le Strategic Force Command (SFC), qui dépend du chef d’état-major des armées. Du point de vue décisionnel, c’est la Nuclear Command Authority (NCA), qui organise avec le SFC l’exécution des ordres reçus par l’exécutif.
Depuis 1974 et son premier essai, l’Inde a vraisemblablement eu le temps de miniaturiser et de militariser l’engin initial. Quant au nombre d’engins dont elle dispose, une estimation en 2008 faisait état d’un arsenal de 50 à 70 engins. Elle possède de nombreux réacteurs non soumis à la surveillance de l’AIEA qui peuvent produire du plutonium Pu139 de qualité militaire. L’Inde a eu accès à toute la documentation publiée sur les essais des cinq États officiellement dotés de l’arme nucléaire (EDAN), ce qui lui a permis de limiter le nombre des essais nécessaires pour qualifier une tête nucléaire. Elle n’est ni membre du Traité de non-prolifération nucléaire[2]Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, https://www.un.org/fr/conf/npt/2015/pdf/text%20of%20the%20treaty_fr.pdf, ni du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires … Continue reading mais elle est membre de l’Agence internationale de l’énergie atomique depuis 1957[3]International Atomic Energy Agency, http://www.iaea.org/About/Policy/MemberStates/index.html, signataire du Traité partiel d’interdiction des essais nucléaires depuis 1963[4]India, http://www.nti.org/e_research/profiles/India/Nuclear/index.html et signataire du traité en faveur de l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique.
Les éléments de la dissuasion nucléaire indienne
La dissuasion indienne repose officiellement sur trois composantes, chacune confiée à une branche des forces armées. Pour l’armée de l’air, ce sont les bombes et les missiles Prithvi, version aérienne, pour l’armée de terre les Prithvi et Agni et pour la marine les Prithvi, version navale, et les missiles de croisière Sangarika, tous deux encore en phase de développement, mais qui devrait équiper très prochainement les navires de surface et les sous-marins à propulsion nucléaire de conception locale. Les Indiens se retrouvent donc avec des rayons de bombardements précisément déterminés, courts pour le Prithvi et moyens pour les Agni-1 et Agni-2.
L’Inde et la Chine se rejoignent sur le principe de ne pas lancer d’attaque nucléaire en premier, et leur préoccupation essentielle est de réussir la croissance économique indispensable pour élever le niveau de vie de plus d’un milliard d’individus. Toutefois, en supposant le pire, les vulnérabilités des deux pays ne sont pas symétriques tant que l’Agni-3 n’est pas complètement opérationnel. Même depuis les territoires indiens les plus proches de la frontière sino-indienne, comme la base aérienne de Tezpur, les villes chinoises d’importances sont éloignées. Kunming, la capitale du Yunnan est à 1000 kilomètres, Canton et Hong Kong sont à plus de 2500 kilomètres, Pékin et Shanghai entre 2500 et 3000 kilomètres. Une opération de bombardement aérien serait limitée à des cibles de second ordre et donc avec un effet limité.
De plus, les Chinois disposeraient de temps pour la détection et l’interception de missiles. Quant aux missiles stratégiques, le rayon d’action de l’Agni-1 est insuffisant comme celui de l’Agni-2, d’une portée théorique de 2500 kilomètres, mais qui semble avoir été exagérée, pour frapper Pékin ou Shanghai. De plus, les bases de missiles stratégiques ne peuvent être situées trop proche des frontières. Il faudrait que l’Inde dispose d’une dizaine de missiles Agni-3 avec une portée supérieure à 3500 kilomètres pour que sa politique de dissuasion envers la Chine fonctionne en lui opposant une menace réelle. En revanche, le barrage des trois gorges sur le Yang-Xi est une vulnérabilité pour la Chine, la rupture d’une retenue de 80 mètres de haut serait catastrophique, mais le barrage est tout de même à 3000 kilomètres des frontières indiennes. L’Inde, au contraire, présente tous ses objectifs importants à portée des missiles Dong-Feng-4 (CSS-3) de 4500 kilomètres ou des Dong-Feng-31 (CSS-9) de 8000 kilomètres de portée.
Données de 2012, mise à jour en cours.
Références[+]
↑1 | Draft Report of National Security Advisory Board on Indian Nuclear Doctrine, http://www.fas.org/nuke/guide/india/doctrine/990817-indnucld.htm |
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↑2 | Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, https://www.un.org/fr/conf/npt/2015/pdf/text%20of%20the%20treaty_fr.pdf, ni du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires Weapons of Mass Destruction, http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/CTBT.shtml |
↑3 | International Atomic Energy Agency, http://www.iaea.org/About/Policy/MemberStates/index.html |
↑4 | India, http://www.nti.org/e_research/profiles/India/Nuclear/index.html |