La diversification
L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 après la disparition de Mao Tsé-toung deux ans plus tôt est marquée par le début des réformes économiques et de l’économie socialiste de marché. Les sites militaro-industriels étaient encouragés à explorer les possibilités de produire dans leurs usines des biens à destination du secteur civil. Dès lors, l’armée et l’industrie de défense ont développé leurs activités économiques « civiles », disposant de terrains, de main-d’œuvre et de privilèges. De cette volonté naquit une dualité dans le secteur des industries de défense, d’un côté les entreprises publiques dirigées par des civils et subordonnées au gouvernement et de l’autre les entreprises détenues et dirigées par les militaires subordonnées à la Commission militaire centrale. Aujourd’hui, ce secteur est en pleine réforme, mais cette dualité est encore présente, entre les jungong qiye et les entreprises issues des rangs de l’APL.
Cette conversion s’est donc entreprise autour de trois axes :
– Le transfert de technologies militaires pour un usage civil,
– Le transfert d’une partie de la capacité de production à des biens d’équipements civils,
– Le transfert du personnel militaire, des installations, de l’équipement au secteur civil.
Son but était de dynamiser l’économie et d’améliorer la qualité de vie des habitants tout en décentralisant les prises de décisions pour accroître les responsabilités des cadres locaux et des directeurs d’usines. En transférant des technologies militaires à un usage civil, les officiels Chinois espéraient un boom économique, particulièrement dans les zones reculées où se trouvaient les usines de la troisième ligne de défense. De plus, en entrant sur le marché local, les directeurs d’usines se familiarisaient avec des notions comme les contrôles de qualité et les compétences en gestion, nécessaires à la survie sur d’autres marchés. Les usines de biens électroniques pouvaient facilement vendre leur production directement aux administrations civiles et aux consommateurs plutôt que de fournir exclusivement l’APL. De nombreux aéroports, chemin de fer et ports, ainsi que des hôpitaux, qui étaient à usage militaire furent ouverts aux publics moyennant des participations financières et des vêtements à l’usage des militaires comme les manteaux, les gants et les chaussures furent massivement achetés par la population civile.
Ce processus ne s’effectua pas sans difficulté, les directeurs d’usines devaient adapter leurs stratégies et leur manière de penser. Plutôt que d’être dirigés par Pékin, ils avaient en charge la sélection des produits, leur développement, le choix des fournisseurs. Le manque de financement était un autre problème, le gouvernement ne pouvait attribuer que des fonds limités à un nombre restreint d’entreprises aussi les sociétés devaient trouver des sources alternatives de financements, comme les profits retirés des ventes, les emprunts ou les investissements étrangers. Au début des années 1990, la COSTIND et un de ses Think tanks, le CAPUMIT, avaient entrepris une grande campagne de relations publiques pour trouver des investisseurs et des marchés à travers des expositions, des séminaires et des livres diffusés à grande échelle qui décrivaient les entreprises et usines du secteur. Cette campagne a entraîné une déclassification de nombreux documents concernant du matériel sensible. Cette politique de diversification profita à l’APL qui comme toutes les institutions chinoises, même quand leur vocation était étrangère à l’activité économique, se bâtit un empire commercial. Les unités militaires locales se sont lancées dans de nouvelles entreprises industrielles ou tertiaires lucratives, et directement liées aux besoins d’une société de consommation en plein essor, un empire que les observateurs étrangers surnomment PLA Inc.
La naissance de PLA Inc.
Au début des années 1980, la part de l’APL dans le budget national déclina ce qui la poussa à rechercher d’autres sources de financement. Les plus hautes autorités de l’APL créèrent des compagnies commerciales comme China Xinxing, China Poly et China Songhai pour profiter des débuts de l’économie socialiste de marché et de l’ouverture aux marchés internationaux. Ils créèrent des banques, des sociétés anonymes et des compagnies commerciales internationales comme Everbright pour vendre leurs productions dans le monde entier. L’armée de l’air créait de nouvelles sociétés de transport aérien civil, la marine des sociétés de transport fluvial et de cabotage, l’armée de terre des entreprises de travaux publics ou de transport, l’armée investissait dans tous les secteurs. C’est pour cette raison qu’elle possédait des fermes, des usines, des hôtels, des compagnies de téléphone et d’autres types d’entreprises en plus de leurs sociétés commerciales.
Le nombre de sociétés dirigées par des militaires explosa durant le boom de la fin des années 1980. Les usines de la troisième ligne de défense ouvrirent des succursales dans les zones côtières, engrangeant de plus en plus de profits par la production de marchandises à destination du secteur civil. L’APL pouvait compter sur un état de fait, une grande majorité des Chinois n’avaient jamais eu la possibilité d’acquérir des marchandises chinoises pour leur propre compte auparavant. En complément de leurs ventes d’armes internationales, la production pour le marché domestique s’intensifia. Au milieu des années 1990, PLA Inc. était constituée de plus de vingt mille entreprises, de l’agriculture jusqu’à l’électronique en passant par le tourisme et la vente d’armes.
Bien que les officiels Chinois réfutaient, dès le début de cette conversion, que les gigantesques profits qui en seraient tirés soient réinjectés dans le budget de la défense, les observateurs internationaux s’inquiétaient de l’utilisation de ses fonds et craignaient qu’ils ne soient réinvestis pour renforcer les moyens militaires de l’APL. Avec cette diversification, une corruption endémique fit son apparition. La décentralisation et la multiplication des structures de production facilitèrent sa propagation alors qu’une des missions du Parti communiste chinois était de lutter contre. De plus, la course au profit pouvait nuire à la qualité des projets et rien n’empêchait les membres des entreprises des secteurs les plus sensibles de vendre au plus offrant des technologies, même si c’était contraire aux intérêts de la Chine dans la région ou dans le monde.
Le premier essai du gouvernement pour réglementer l’activité commerciale de l’APL date de 1989 avec une série de décrets, parmi eux l’interdiction pour un militaire en activité de siéger dans un conseil d’administration d’une société commerciale. La réforme avait pour but de placer l’administration des entreprises de l’APL sous le contrôle des hauts gradés et d’empêcher qu’un simple officier puisse être impliqué dans l’administration quotidienne d’une société commerciale issue des militaires. Ces mesures furent rejetées par le PCC. Au début des années 1990, les hauts gradés de l’APL ont regroupé les nombreuses usines qu’ils contrôlaient en groupes commerciaux agissant comme des conglomérats. Ils ont plutôt bien réussi à centraliser la gestion, la production et l’exploitation de ces sociétés commerciales pour en faire des groupes en expansion sur le marché. L’APL était quasiment un état dans l’État et profitait de l’expansion économique chinoise.
En 1998, inquiet par la corruption et par les atteintes à la discipline dans les rangs et au professionnalisme, le gouvernement de Jiang Zemin ordonna à l’APL de se séparer de ses entreprises en échange d’une augmentation du budget militaire. En effet, les craintes des observateurs étrangers se confirmaient et les profits générés par PLA Inc. supportaient une partie des charges de fonctionnement de l’armée et il n’était pas envisageable pour les militaires de se séparer de leurs entreprises les plus rentables sans contrepartie. Une étape importante de ce désengagement a été de transférer les responsabilités de recherche-développement, d’acquisition et d’exportation qui étaient auparavant entre les mains du General Staff Department au General Armament Department créé par la réforme de 1998.
Le GSD pouvait désormais se concentrer sur l’entraînement et les opérations. Aujourd’hui, une partie des activités économiques héritées ont été rendues au secteur civil ou aux administrations ministérielles concernées. Une partie des officiers ou soldats démobilisés ont gardé leur travail initial mais ils relèvent désormais d’autres institutions. D’autres ont vécu de tels transferts comme des drames, leur ôtant les avantages sociaux de l’armée et les contraignant à se réinscrire dans des tissus professionnels auxquels ils n’étaient pas préparés. En fait, cette démobilisation a aussi souvent touché les officiers les plus jeunes, donc les plus dynamiques et les plus adaptables, suscitant en retour une perte de qualité pour l’armée chinoise.
L’ouverture aux capitaux privés
Un changement important est en train de se manifester dans l’industrie de défense chinoise, l’ouverture du capital de leurs entreprises. En 2007, les autorités ont commencé à attirer des entreprises locales et étrangères pour accroître les fonds disponibles pour la recherche-développement et ne plus dépendre uniquement des capitaux publics. Certaines entreprises sont désormais cotées aux bourses de Shenzhen, Shanghai et Hong Kong. De nouvelles règles émises par la COSTIND avaient facilité cette étape, car le manque de fonds était un facteur majeur, selon des officiels chinois, de la stagnation du secteur de la défense et de la lenteur de sa modernisation. Des limites légales sont tout de même imposées pour ne pas compromettre la sécurité des projets de défense. Autoriser des firmes privées à participer au secteur de la défense facilite leur intégration dans l’économie nationale, mais aussi la constitution d’une double économie civile et militaire.
Des liens étroits se forgent entre des firmes privées qui possèdent les technologies et des capacités dont ne disposent pas les entreprises publiques de la défense nationale, et des projets sont même entièrement confiés à des entreprises privées. Ces liens doivent améliorer la productivité et la qualité de la production, les projets de défense prenant souvent 15 à 20 ans pour être réalisés, les avancées technologiques qu’ils ont pu représenter au départ sont souvent obsolètes lors de la phase de production, cette dualité économique peut réduire sensiblement les délais. Par exemple, le développement du chasseur FC-1/JF-17 par la Chengdu Aircraft Corporation (CAC) a été accéléré par l’utilisation de logiciels de design d’une entreprise privée. Les officiels Chinois estiment que des économies de l’ordre de 40 % sont réalisées grâce à ces partenariats et après une décennie ou la Russie était le principal fournisseur, l’APL peut désormais compter un peu plus sur l’industrie de défense chinoise.
Cette diminution de la dépendance face à la Russie tient aussi du fait que la Chine est régulièrement accusée par elle de copier illégalement des armes exportées et de développer un modèle indigène. C’est le cas du Su-27 russe dont la Chine avait obtenu au milieu des années 1990 la licence pour produire une partie des composants destinés à une commande de 200 appareils. En 2004, la Chine a annoncé qu’elle n’était plus intéressée par le Su-27 et un an plus tard, la Russie a découvert l’existence du projet Shenyang J-11B, un avion rigoureusement identique au Su-27 que la Chine avait copié par la méthode de rétro-ingénierie.